Le souvenir lointain

Аline prit le train ; Saint-P;tersbourg en direction de la ville de son enfance, en Sib;rie. Au petit matin, dans le compartiment, le conducteur vint lui proposer le th;. Certes, Aline peut se servir elle-meme, il lui suffisait de sortir dans le couloir, o; il y avait dans le coin un titan semblable au samovar. Mais elle d;cida de ne pas priver le conducteur du plaisir de la servir pour obtenir un pourboire. Deux minutes plus tard, il revint avec le th;. Aline aimait le boire dans un verre fin, dans le porte-verre de melchior. Il lui semblait meilleur. Et cette fois elle jouissait de cette boisson simple, tout en regardant par la fenetre.

Aline admira le tableau de la foret d'hiver. Les maisons ;taient enneig;es jusqu'aux toits. Les toits sous la neige ;taient de la meme couleur que le ciel, on distinguait avec peine la fronti;re, ne sachant o; les toits s'ach;vent ni o; le ciel commence. De temps en temps Aline se perdait du pr;cipice enneig; jusqu'en haut des isbas en bois. Une lumi;re rose transper;ait le mur de sapins. Le paysage d'hiver ;tait de plus en plus beau ; mesure que le train avancait. Il ralentit ; la station o; les isbas se fondaient dans la neige ainsi que leurs toits. Dans ce tableau sombre reluisait une petite lumi;re provenant d'une maisonnette. L';clairage de la fenttre accentuait la lumi;re du feu rouge, qui lui fit repenser au jouet d'un Nouvel An sous le sapin de Noel. Il semblait qu’ Aline v;t ; l'instant le P;re No;l et la Fille de Neige. En regardant ce tableau f;erique, Aline se souvint des matins ; l';cole primaire, o; elle ;tait la Fille de Neige. Sa m;re avait cousu un petit manteau et la toque du tissu bleu ciel ;tait bord;e de fourrure blanche.

Le professeur ;tait une femme tr;s calme, elle fascinait Aline ; chacune de ses interventions, et l'aidait ainsi ; vaincre son b;gaiement. C';tait une institutrice s;v;re, avec la fille de laquelle Aline s';tait li;e d'amiti;. Un jour, au spectacle musical de l';cole, bien que subjugu;e par la musique, Aline n'avait pu participer ; l'intervention, terroris;e par la sc;ne et hant;e par son b;gaiement.


Un demi-si;cle plus tard, elle fut invit;e par une autre fille de son institutrice, dont l'int;rieur de l'appartement l';tonnait, compos; de meubles du d;but du XX; si;cle. Remarquant sa surprise, la fille de l’institutrice lui expliqua que ces meubles eurent ;t; apport;s de St-P;tersbourg, o; son grand-p;re avait travaill; en tant que garde pour le compte du tsar Nikolas II.

Autour de la table bien servie, Aline expliquait que malgr; son tr;s jeune ;ge, elle avait r;fl;chi durant l'enfance aux diff;rents moyens de se lib;rer de sa maladie qui lui empoisonnait la vie, des oppressions constantes li;es ; l'impossibilit; de prononcer parfois m;me un seul mot. Il lui avait sembl; qu'elle p;t ;chapper au b;gaiement en parlant dans une langue ;trang;re, et c'est pourquoi elle s';tait mise ; apprendre l'allemand. Le b;gaiement avait persist;. Dans les ann;es suivantes, elle comprit comment elle pouvait vaincre son trouble: en apprenant le fran;ais. ; ce sujet elle entreprit d';crire un article. Elle aurait pu faire une th;se enti;re. Mais elle n'avait pas le temps. ; l'automne de la vie le temps se pr;cipite, il passe tellement plus vite que pendant l'enfance, cette ;poque o; toutes les saisons sont bonnes.


Parfois, en hiver, en raison des grands froids, les enfants n'allaient pas ; l';cole mais en fin de matin;e, quand le soleil avare de l'hiver commen;ait ; r;chauffer un peu, ils se pr;cipitaient dans la rue et se roulaient dans la petite montagne de neige glac;e en forme de t;te de preux russe, ; c;t; de la maison de l'amie d'Aline. En Sib;rie, ; la diff;rence de celles de l'Oural, les maisons sont longues, les goutti;res sont fix;es aux angles et d;cor;es en haut par de petites «maisonnettes» en fer servant de jeux. La d;coration des goutti;res et des tuyaux de chemin;e ;tait le signe que dans cette petite ville provinciale, autrefois, la production de forge prosp;rait; dans les fourneaux de forges furent cr;;es des merveilles. Les fen;tres parfaitement align;es ;tait orn;es de superbes chambranles sculpt;s en bois, comme de la dentelle, et peints le plus souvent en bleu ciel. Sur les rebords des fen;tres s';rigeaient les fleurs. Les brins tendres s'agitaient sous le souffle l;ger de la brise et cognaient contre le vasistas. En les regardant de la rue froide, il semblait qu'ils ne fussent pas r;els, qu'ils fussent venus du paradis, poussant directement de la neige que balaient les ma;tres diligents sur le banc de terre de la maison pour que dans l'isba r;gne la chaleur. Le froid ;tait tel qu'on ne pouvait croire ; l'approche du printemps, quand sous les rayons du soleil couleraient de robustes ruisseaux, et que la neige ne serait plus qu'un souvenir.


Аline secoua la t;te, comme pour se lib;rer de ses souvenirs. De nouveau elle jeta un coup d'oeil ; la fen;tre en remarquant que le paysage avait chang;. Elle vit des maisons semblables aux gratte-ciel. Aux derni;res ombres de la nuit, le train arrivait ; Lekaterinbourg autrefois appel; Sverdlovsk. Ce fut la premi;re grande ville que vit la petite Aline ;g;e de cinq ans. Elle avait ;t; frapp;e par la gare, qui ressemblait ; un vrai palais. Comme dans les palais,; les lustres de cristal ornaient le plafond, des divans en bois aux grands dos recourb;s meublaient les salles, et les murs ;taient orn;s de serpentins. Les automates d'o; coulait de l'eau gazeuse plaisaient plus que tout, ressemblant ; de grandes armoires brillantes et m;talliques. « Tu t'approcheras, tu laisseras un copeck et tu boiras l'eau sans sirop - pour trois, tu recevras la boisson magnifique. »


Plus tard, ; l'age de dix ans, Aline commen;a ; voyager seule. Pour acheter un billet elle s';levait sur la pointe des pieds pour voir un peu la dame tr;s s;rieuse qui vendait les billets en carton. Tout ;tait curieux. La gare, le tunnel... o; elle vit courir toute la famille: l’oncle Hyppolyte, la tante Anne, la m;requi la tenait fermement par la main. Ils se rendaient chez les parents qui avaient d;m;nag; de la Sib;rie pour rejoindre l'Oural apr;s la guerre.

Aline ne connaissait pas vraiment la v;ritable raison du d;m;nagement des deux soeurs et des deux fr;res de sa m;re. Ce n'est que plus tard qu'elle apprit que les parents de la femme d'un de ses oncles maternels poss;daient des mines d'or avant la r;volution.;

Pourtant, ; sa premi;re visite, personne ne ressemblait ; un h;ritier de propri;taire de mines d'or. Les maisons des fr;res, Anatole et Victor, se situaient juste ; cot;. Les soeurs logeaient dans des habitats communautaires, tout cela ;tait nouveau pour Aline qui ne pouvait comprendre. Des ;trangers allaient et venaient dans les couloir et la cuisine. Qui ;taient-ils ? Les voisins, sans doute.

Une petite chose frappa Aline, c';tait le t;l;phone. L’oncle Anatole lui expliqua que cet appareil permettait de parler et d'entendre une personne invisible ; l'autre bout du fil, il lui proposa de prendre le combin; mais elle prit peur. Depuis, elle a surmont; sa peur. Le;matin elle fut emmen;e au salon de coiffure, o; la coiffeuse coupa ses tresses ch;tives au profit d'une frange. En revenant ; la maison de l'oncle, elle vit un inconnu. C‘;tait le photographe. La m;re la para du costume de matelot et la prit par les mains le temps de la photo. Apr;s le d;part du photographe, tout le monde commen;a ; s'amuser, ; chanter, ; danser. L’oncle Anatole mit en marche le phonographe.

Aline sortit discr;tement, longea les maisons en admirant les fleurs dans les jardinets et soudain, r;alisant qu'elle perdit son chemin, elle se mit ; pleurer. Un jeune gar;on s'approcha:

- Pourquoi pleures-tu ?

- Je ne me rappelle pas... comment aller... - Aline b;gayait. - Je suis venue chez mes oncles, ils vivent ; cot;.

-Аh, ce sont les directeurs des usines?

- Je ne sais pas.

- Eh bien, on y va, je sais par o; il faut passer.

Et le gar;on prit Aline par la main et la guida. Ils ne firent que quelques pas et, d;j;, Aline vit sa m;re en larmes et courant ; sa rencontre. ; la maison, tous ;taient inquiets. Le chagrin disparut d;s le retour d'Aline, mais la gaiet; ne revint pas pour autant et tous se s;par;rent pour aller dormir. Le matin, une voiture noire et brillante vint chercher l'oncle pour l'emmener au travaiL.


Un an plus tard, la tante, qui n’avait pas d’enfants, emmena Aline en Oural. Tout ;tait extraordinaire pour Aline. De grandes broderies encadr;es au mur, la chemin;e dans la pi;ce, la pendule dont une petite porte s'ouvrait et un coucou apparaissait tous les heures.

Un jour, seule, Aline enjamba le dossier du divan, ouvrit la porti;re de la pendule derri;re laquelle le coucou se cachait, et le toucha. En redescendant, elle s'accrocha ; la nappe de la table d’o;;l'encrier tomba et un beau tapis perse fut sali. Quand la tante revint, Aline pleurait et ne pouvait prononcer aucun mot.


Chez son autre tante, tout ;tait plus facile. La famille avait v;cu dans une seule pi;ce, avant d'emm;nager dans un appartement plus grand. C'est ici qu'Aline fit la connaissance d'Anatole. C’;tait une chose inattendue quand, avant son d;part en Sib;rie,; Anatole l'embrassa sous les yeux de sa toute jeune compagne, la cousine d'Aline.


Ce n'est qu'un an plus tard qu'Aline revint en Oural. Anatole devait faire son service militaire de trois ans. En retard, Aline ne put assister aux adieux de sa cousine ; Anatole. Quand Aline arriva ; la gare, elle vit que le train s';loignait. Elle voulait expliquer ; Anatole les raisons de son retard... Elle lui ;crivit une lettre, qui marqua le d;but de leur correspondance courte de trois ann;es.

Sa cousine avait oubli; Anatole pour un autre. Mais Aline n'avait pas oubli;, ni et surtout pas leur baiser d'adieu. Quant Anatole revint de l'arm;e, il ;changea avec Aline sur le sens de l'amour. Dans quelque temps il repartirait pour Moscou afin d'entrer ; l'institut.


La cousine d'Aline ;pousa un officier, lequel participait ; la construction du chemin de fer au nord. La jeune famille d;m;nagea ; L;ningrad, o; Aline s;journa, au centre, ; c;t; du th;;tre Marinsky. Chaque jour le mari officier partait au travail, la cousine s'ennuyait ; la maison, c'est pourquoi elle avait invit; Aline pour quelques vacances. En revenant de L;ningrad, qui en Sib;rie fut appel; Petersbourg, Alina d;cida de faire un arr;t ; Moscou, apr;s avoir pr;venu Anatole de son passage. Le voyage n’;tait pas long, peut ;tre parce que le compagnon de route d'Aline parlait sans cesse. Aline ne l';coutait presque pas, occup;e ; penser ; l'homme qu'elle allait revoir.

Ils se revirent ; la gare. Prirent le m;tro. Dans l'agitation m;tropolitaine, Anatole la prot;geait inconsciemment de la cohue des voyageurs, en se serrant contre elle.

Anatole l'emmena au foyer o; il vivait, dans une chambre qu'il partageait avec un ami qui n';tait pas l;, ni m;me le lendemain lorsqu'Aline revint de la galerie Tret'yakovsky et Anatole du match de football, auquel il l'avait convi;e la veille; mais elle n'aimait le foot. Le hockey, c';tait d;j; autre chause !

Apr;s un d;ner modeste, ils se mirent au travail. Aline faisait pour Anatole ses devoirs de fran;ais, Anatole faisait les math;matiques.


-Demain le 23 f;vrier, c'est notre f;te des hommes.

- Et quoi ?

- Nous irons au restaurant.

- Je pars demain.

- Comment ? Tu pourrais partir plus tard. As-tu un moujik?

Il semblait irrit;, bien qu’il s'effor;ait de ne pas le montrer.

- Non.

- Je ne te crois pas.

Le soir, le train emmenait Aline en Sib;rie, aux plaines de neige. Elle pleura deux jours, sans comprendre pourquoi elle ne dit pas ; Anatole la raison v;ritable de son refus : elle n'avait pas de robe de restaurant. Plusieurs ann;es apr;s, ;tant devenue d;j; une vieille femme, elle tenterait de le trouver par Internet. Mais elle ne trouverait qu'un homonyme... Elle ne perdrait pas espoir. Bien s;r elle ne le reverrait jamais. Si Aline regretterait de n';tre pas all;e au restaurant ? Non, puisqu’elle comprendrait bien qu'apr;s ce fameux soir, sa vie aurait chang; et, devenue plus grande, se serait mari;e avec celui-ci. Ainsi elle resterait pour toujours la cousine de sa fianc;e. Aline n';tait pas pr;te pour de grandes relations et celui-l;, le premier baiser d'enfant, ;tait aussi le dernier parce qu’ elle n’avait pas de robe de restaurant. Ah, vraiment ces robes…

Une fois, en partant chez les parents en Oural, la petite Aline avait pris le tissu couleur moutarde, offert par sa m;re. En visite chez sa tante, elle avait fait le patron d’apr;s le feuillet de l';ph;m;ride. Sa g;ne ;tait grande, quand elle eut compris que la robe est trop petite.


Des ann;es plus tard, Alina visitait les magasins de tissus parisiens, mais elle ne voyait pas de tissu pareil ; celui de son enfance malgr; les comptoirs combl;s. Chaque fois, en venant ; Paris, elle passait par "La Reine", petite boutique non loin de Monmartre. Jusqu'; la fois la plus r;cente o; elle et sa coll;gue virent la porte ferm;e.

Au premier ;tage d'un petit caf; « Le cabaret », o; le soir on y officiait des repr;sentations, Aline observait sur le mur des photos de Belmondo, d'Alain Delon, de Jacques Brel dont Aline aimait la chanson o; il compare sa bien-aim;e ; une poup;e.


Dans son enfance Aline ne jouait pas aux poup;es. Elle aimait ; organiser des spectacles dans la cour de sa maison, o; l'on y ;levait une sc;ne et o; l'on pla;ait des chaises pour le public invit;.

Elle se rappelle qu‘; l‘age de cinq ans, elle ;tait sortie de l‘isba pour aller sur le perron en bois brun et; ;couter les chants des oiseaux pendant que le soleil se levait.


Ce sont des souvenirs de bonheur. Elle ressentait des sentiments d'amour gr;ce; ; son oncle et sa tante qui ;taient bons et l‘aimaient vraiment. Parfois son oncle Hyppolyte demandait: « Мontre-moi comment tu ;m‘aimes. » Aline l'embrassait tr;s fort et tout le monde souriait.

Le petit paradis prit fin ; la mort de son oncle et sa tante. Sa m;re s';tait remari;e. Un beau-p;re est apparu dans la maison. Aline eut pour seul ami un chien, qui semblait ressentir constamment sa solitude. Elle pensait ; son p;re.

Aline n'avait que de vagues souvenirs de son p;re. Quelle ;ge avait-elle alors ? Trois ans ? Elle se souvient quand elle rejoignait ses parents dans leur lit. Peut-;tre n'eut-ce jamais ;t; r;el ? Peut-;tre a-t-elle tout invent;.


Quand Aline eut treize ans, la famille d;m;nagea au centre de la ville, ; proximit; de la mairie et de l';cole. Comme toujours apr;s l';cole, elle pr;parait les devoirs dans la pi;ce lointaine. En essayant de faire ses devoirs de math;matiques. Sans avoir de r;elles capacit;s en la mati;re, elle faisait bien ses devoirs, peut-;tre gr;ce au professeur. Mais elle n'aimait pas les math;matiques. M;me en connaissant , commant il faut faire, elle obliait ce un, l'autre. Selon l'ironie du destin Aline est devenue l’;pouse du savant-math;maticien,; l’homme de g;nie. Parmi ses d;couvertes de math;matiques sans savoir de l’ ;xistence du th;or;me de Vilarceau; dont Aline a lu ; Larousse, il a prouv; le m;me th;or;me.

Le jour de la rencontre avec son p;re, Aline ;tait assise dans la pi;ce voisine, concentr;e ; ses devoirs. Elle entendit sa m;re qui soudain l'appela:

- Viens, ton p;re est arriv;.

Tremblante Aline sortit de la pi;ce et vit l'homme v;tu d'un costume ;l;gant, couleur chocolat, et qui tenait une canne dans ses mains.

    - Bonjour, ma fille.

    - Bonjour...

    - Tu regardes ma canne?

    - Oui.

    - On m'a bless; ; Berlin juste avant la fin de la guerre; C ‘est un miracle que je sois en vie. Nous avons perdu vingt millons de personnes. De dignes citoyens de notre pays....

Elle regrettait que sa m;re ne voulait pas vivre avec lui. Le quotidien avec le beau-p;re avait laiss; une mauvaise empreinte dans sa conscience. Elle ne voulait pas avoir d'enfant n; hors-mariage, craignant que cela la priverait d'une enfance heureuse, d'un amour paternel et de la caresse dont l'enfance a besoin.

Le voyage se terminait. Elle arrivait ; Tioumen. Ici, Aline entreprit ses ;tudes ; l'universit;. Bien qu’elle ne f;t plus une enfant, elle se sentait pourtant comme telle. Alors, chaque lundi, Aline prenait le train du matin, et errait longuement. En hiver, dans la semi-obscurit; de l'aube, certains b;timents avaient l'air de fant;mes, d'autres ;taient semblables ; des g;teaux de f;te. Elle atterit dans une rue centrale, la rue Spassky, nom de l';glise transform;e en biblioth;que ; l’;poque du socialisme, et o; Aline aimait lire, go;tant au repos de son ;me. Son lieu pr;f;r; se situait pr;s de la fen;tre, l; o; un autel se trouvait autrefois. Peut-;tre parce qu'il pacifiait les c;urs ? En regardant cette eglise, Alina se souvint d'un de ses r;ves r;ccurents, o; elle se voyait jeune et belle. Ici elle lisait de la po;sie romantique et de la prose, dont Dosto;evski qu'elle adorait. Lui, Dosto;evski, ;tait aussi ; Tioumen, en Sib;rie o; il eut pass; tant d'ann;es de sa vie.

Le regard d'Aline s';garait dans les alentours, glissant vers les maisons difficilement perceptibles, couvertes de neige, et vers les branches de givre, les trottoirs soigneusement balay;s en cette heure pr;coce. Il semblait que la main du magicien f;erique e;t dispers; ces pierres parsem;es ici et l;, et que l'on pouvait tout ; fait identifier comme ;tant les pierres fines de l'Oural, comme un tr;sor dispers; sous les pieds des pi;tons pour leur ;viter de glisser sur les trottoirs glac;s.


Comme il est bon de se retrouver dans le compartiment du wagon, ;tre assise, boire du th; et se rendre compte que dans une heure et demie heures Aline sera chez elle, parmi les siens, dans cette petite petite ville provinciale au doux et long nom de Laloutorovsk. On dit et on ;crit beaucoup de choses sur la Russie profonde. Mais pourquoi ;crit-on si peu sur la Sib;rie? ; cause de son isolement ? En raison d'une absence d'int;r;t ? Aline n’a pas de r;ponse. Pourtant cette r;gion a gard; intactes son originalit; et son attraction, m;me si elle attire peu de monde. Mais ceux qui par la volont; du destin viennent ici, s'accordent ; parler de la cordialit; de la population locale, des sourires qui vont au c;ur et qui ne ressemblent pas aux sourires conventionnels.

Dans ce pays d'exil, les gens qui viennent ne peuvent pas toujours sourire, mais la sinc;rit; des habitants, perdue dans la plaine de neige, est capable de faire fondre les c;urs glacials d;s ; ces longues ann;es des travaux forc;s en Sib;rie orientale d’o; l'on a renvoy;, par exemple, les decembristes, ici en Siberie occidentale, pour avoir tent; de renverser la monarchie.

Enfant Aline venait au mus;e du d;cembriste Mouraviev-Apostol. Tout est diff;rent ; pr;sent. Le b;timent noble se distinguait par la quantit; impressionnante de livres fran;ais. Dans une quasi-v;n;ration, Aline s'approchait de la table ronde et regardait des lettres incompr;hensibles. Tout semblait si int;ressant. La surveillante ; qui elle demandait des explications lui r;pondait:

- Va, petite, regarde toi-m;me.

Pourquoi ; dix ans, Aline s';tait-elle int;ress;e aux d;cembristes, elle ne pouvait l'expliquer.

Non seulement Aline s';tait int;ress;e au sort des d;cembristes, mais aussi ; la fille du metteur en sc;ne Sergey Bondartchouk qui eut apport; le plus cher tableau du pays "Guerre et Paix". Natalia Bondartchouk invitait la population locale ; en savoir plus sur le r;le des d;cembristes, qui pendant des ann;es d'exil en Sib;rie, ;taient devenus de vrais moujiks. La tante d'Aline, responsable de la culture ; la mairie, disait qu'il ;tait difficile de parcourir les moeurs des gens vivant au dix-neuvi;me si;cle. Elle disait :

- Qui sait... ? Peut ;tre durant l'exil sont-ils devenus de vrai moujiks ?

Alina n'avait pas de r;ponse.

Revenant ainsi ; Laloutorovsk, elle s';tait arr;t;e sur la place de la gare pour encore une fois jeter un coup d'oeil sur les bustes des d;cembristes. En les regardant attentivement, Aline se demandait comment ces gens sages et instruits avaient pu devenir des criminels d';tat ? Voulaient-ils aider le peuple ? Mais savaient-ils seulement, vivant dans la capitale, ce qu';tait le peuple ?

Pouchtchin, par exemple. Un simple visage russe. Il ;tait l’ami de Pouchkine, avec qui il avait suivi ses ;tudes au lyc;e de Tsarsko; Selo. Pouchtchin vivait ici ! Son palais se trouvait presque en face de la r;sidence des tsars russes – le palais d'hiver. Il fallait traverser la rivi;re et l'on se retrouvait sur la place de Palais. А c;t; de Pouchtchin demeurait Yakouchkin. On sent le sang bleu. Les traits du visage sont tr;s s;v;res. Le regard est sage. Et voila Tcherkasov. Aline continuait ; ;tablir des comparaisons. Ce n';tait pas la premi;re fois qu'elle s'arr;tait en face de ces bustes mais elle n'avait jamais pens; que cet ancien camarade de classe p;t ainsi ressembler ; ce d;cembriste Tcherkasov.;Le m;me profil, les m;mes boucles blondes. Elle ;mettait l'hypoth;se que son camarade ;tait un descendant de d;cembriste. Ce n';tait pas seulement un nom de famille qui parlait en faveur de cette version. Son camarade poss;dait aussi tout ce que les autres n'avaient pas, ; commencer par des mani;res d'aristocrate.


Sur les photos d';cole, il ;tait assis un peu ; l';cart, fixant d'yeux effrayants l'objectif de l'appareil, dans un semi-profil ; la pose libre, telle que celle qu'obtenaient les photographes dans un artifice client;liste. Aline se rappellait de la visite du salon photo o; le photographe l'avait fait asseoir, lui mettant la main sur le dossier de la chaise, disant o; regarder et sourire du bout des l;vres.

Son camarade ;tait seul, il portait le chapeau. A quatorze ans ! Sur une des photos, il portait ce chapeau sur la t;te, un veston gris perle comme la couleur de ses yeux. En classe, Aline se tournait parfois vers lui et le regardait de face. Que voulait-elle y voir ? Peut ;tre l’amour...

Il lui faisait souvent des dessins. Aline avait lu que les fils de nobles ;tudiaient aussi dans des ;tablissements sp;cialis;s, o; ils apprenaient le dessin et la danse. Son camarade ;tait le meilleur danseur ; l';cole. A la soir;e de fin d'ann;e, le professeur de maths avait dit :

- Mieux vaut faire des maths !

Tout doucement la soir;e d’adieux s'achevait; il avait demand; ; Aline:

- Tu seras actrice?

- Non, j'ai decid; d'apprendre les langues ;trangeres ; l’universit;, avait-elle r;pondu sans supposer que sa vie d;pendrait de cette d;cision, la vie qui allait lui promettre tant de surprises, dont sa rencontre avec son mari. Elle avait fait son choix au dernier printemps de son enfance, alors que fleurissait le lilas et que les ;leves se promenaient toute la nuit en chantant et en imaginant leur vie d’adulte.


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