Comment les socialistes enterrent les reformes

Sergueп JIRNOV, conseiller international, journaliste, politologue, ancien eleve de l'ENA (promotion Leon Gambetta)

Comment les socialistes enterrent les grandes reformes promises.
La mecanique, les outils et le savoir-faire du bricolage politique.

Avant-propos.


Toutes les personnes qui, au moins une fois, ont joue aux cartes, et Dieu sait s’il y en a en France et dans le monde, nous comprendront.

Un atout n’est vraiment bien joue que s’il vous permet de casser le jeu de votre adversaire, de reprendre la main dans une situation visiblement catastrophique, de prendre une revanche, de faire la plus belle prise de points en fin d’un tour, de redevenir maоtre du jeu et de le gagner. Un atout se garde pour la fin et/ou pour un jeu decisif.

S’il s’agоt du debut d’un jeu et si quelqu’un, possedant un as ou un roi d’atout, commence son tour par le mettre d’emble sur le tapis vert, il ne faut pas qu’il s’etonne que ses adversaires ne lui mettront sur le tapis, expres, que les cartes minables. Pour le punir. Pour qu’il ramasse un minimum de points.

Et tout le monde vous dira qu’il a gache sa chance et son atout pour rien. D’une maniere debile. Pour rester poli, les gens diraient qu'un joueur pareil, s'il est sincere et honnete, est un imbecile comme Francois Pignon, le personnage touchant mais desesperant  de Jacques Villeret dans la celebre comedie "Le dоner de cons". Au cas oщ il etait intelligent, il serait alors malhonnete et cynique, jouant volontairement contre les interets de son equipe.


Prologue: l'avant-garde ou l'arriere-garde du progres.


La France a longtemps jouit dans le monde d'un grand prestige en tant que la "Patrie des droits de l'homme et citoyen", comme le pays modele dans le domaine du progres societal. Pourtant le suffrage universel des plus de 21 ans, proclame peu apres la revolution de 1789, n'a ete adopte et pleinement mis en place en France qu'en 1848.

Et en realite le droit de vote dit "universel" etait un privilege exclusif et restrictif des hommes - des personnes du sexe masculin. La republique "des lumieres" n'a etendu ce privilege citoyen aux femmes que cent ans plus tard, a sa sortie de la Deuxieme guerre mondiale en 1944 (deux siecles et demi apres le royaume de Suede!), et aux "indigenes" des colonies qu'en 1946. L'age legale de vote n'a ete abaisse a 18 ans qu'en 1974.

Plusieurs millions d'hommes et de femmes que la France colonialiste et republicaine faisait venir travailler sur son sol, creer ses richesses, lui apporter de l'eclat, ont ete exclus, bannis de la vie politique nationale. Comme des malpropres. Comme les esclaves modernes de la civilisation occidentale. Au fils du temps la France s'est revelee etre souvent plus retrograde et conservatrice que beaucoup d'autres pays, qui ont deja admis comme regle de base le droit de vote municipal des residents etrangers reguliers, installes et integres.

En 1981, l'elargissement du droit de vote aux etrangers pour les elections locales a ete une revendication reprise par Francois Mitterrand dans ses 110 Propositions (80-ieme proposition). Mais il n'a pas tenu sa parole, sa promesse electorale et ne l'a pas fait adopter. Pourtant il en avait tous les moyens legaux jusqu'en 1986 oщ ils socialistes ont perdu les legislatives et la majorite absolue au parlement, contraints pour la premiere fois dans l'histoire de la cinquieme republique a une cohabitation avec la droite.

En 1987, le President de la Republique s'y est declare toujours favorable mais ne jugeait pas la France prete a son adoption, mettant curieusement en avant la question de la reciprocite avec les pays d'origine des etrangers residant en France. Un pretexte subtil et cynique mitterrandien pour mieux enterrer la reforme promise en 1981 qu'il ne voulait pas et ne pouvait plus mettre en route dans les termes initiaux.

Mais le debat national a ete relance venant du niveau europeen suite a l'adoption en 1992 du traite de Maastricht qui ebauche la notion de citoyennete europeenne en accordant le droit de vote et d'eligibilite aux residents etrangers des pays membres de l'Union europeenne aux elections europeennes et municipales. Cette clause s'appliquera pour la premiere fois aux elections europeennes de 1994.

En revanche, en ce qui concerne les elections municipales, la France sera, encore une fois, le mauvais eleve europeen: le dernier pays a transposer dans le droit national les dispositions de la directive europeenne de 1994; dont les modalites complexes d'application ne permettront pas aux residents etrangers communautaires de participer aux elections municipales de 1995. Il faudra attendre les elections suivantes - de 2001. Entre les promesses electorales solennelles du candidat socialiste et leur realisation pratique pour les ressortissants europeens sous la majorite opposee, il va se derouler trois septennats!

Le fait discriminatoire que tous les residents etrangers d'une meme commune ne puissent voter relancait regulierement le debat sur la generalisation du droit de vote. En effet, un resident francophone africain, americain ou russe  present en France depuis 40 ans ne peut pas voter, quand un Espagnol, Italien ou Allemand arrive depuis trois mois et ne parlant meme pas le francais, sera lui electeur et eligible au conseil municipal.

Une proposition de loi constitutionnelle visant a accorder le droit de vote et d'eligibilite aux elections municipales aux etrangers non ressortissants de l'Union europeenne residant en France a ete adoptee par l'Assemblee Nationale le 3 mai 2000 par les deputes de gauche et deux elus UDF, le reste de la droite ayant vote contre. Apres 2002, quelques elus de droite se sont declares favorables a ce projet a titre personnel (Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Borloo, etc.), tout en se sachant minoritaires dans leurs partis.

Toutefois, cette loi n'a ete inscrite dans la foulee a l'ordre du jour du Senat pour pouvoir etre definitivement adoptee. Lionel Jospin, le premier ministre socialiste cohabitant a cette epoque avec le president Jacques Chirac, se justifiera ne pas vouloir donner de faux espoirs en inscrivant cette loi a l'ordre du jour du Senat oщ la majorite de droite l'aurait rejetee a coup sыr. Les senateurs de gauche ont a nouveau depose une proposition de loi sur le meme sujet en janvier 2006, mais la majorite de droite a refuse de l'inscrire a l'ordre du jour. Lors de la revision constitutionnelle de 2008, plusieurs amendements tentant a instaurer le droit de vote des etrangers non europeens aux elections locales ont ete rejetes par la droite sarkoziste.

En janvier 2010, Jean-Marc Ayrault, president du groupe socialiste a l'Assemblee nationale, a depose une nouvelle proposition de loi en faveur du droit de vote des etrangers non communautaires aux municipales. Le Senat passe a gauche l'a finalement adopte, le 8 decembre 2011, par 173 contre 166 et a l'issue d'un debat houleux. Mais ces textes n'ont pas ete presentes pour confirmation par le Congres parlementaire.


Les regles du jeu legislatif sous la Cinquieme republique en France.


A la difference du jeu de cartes, oщ le hasard a sa part des choses, le President de la Cinquieme Republique en France garde la main sur le jeu politique quasiment toujours. Il possede tous les atouts. Ou presque. Il decide de tout. Tout seul. Et il n’est responsable de rien. Ou presque. C’est la specificite institutionnelle de la fonction du chef de l’etat concue de la sorte en 1958 par le General de Gaulle dans la Constitution ecrite par Michel Debre et votee en referendum par le peuple francais souverain.

La seule chose que le President de la Republique francaise ne peut pas faire tout seul, c’est changer cette meme Constitution. Pour cela il est oblige de passer soit par la voie d’un referendum (pour tout le texte), soit par le vote parlementaire special (pour les amendements). Dans ce dernier cas, il faut reunir en congres l’Assemblee nationale (chambre basse) et le Senat (chambre haute du parlement) et obtenir une majorite qualifiee – celle des trois cinquiemes des suffrages du congres parlementaire.

C’est facile de faire si le parti du president possede une large majorite dans les deux chambres du parlement. Si ce n’est pas le cas, il faut negocier, parlementer. Avec les autres composantes politiques. C’est comme ca que le president Chirac a reussi de faire adopter, meme en temps de la cohabitation difficile avec les socialistes en 2000, la reforme constitutionnelle sur le passage du mandat presidentiel de 7 a 5 ans.

Mais il arrive aux presidents omnipotents de se tromper et de perdre. Le plus souvent par le peche de vanite et d’orgueil, par manque de sagesse et d’humilite, par l’impression trompeuse de la toute-puissance presidentielle. Quand un president commence a se prendre pour un Dieu.

Cela est arrive meme a de Gaulle en 1969 oщ au lieu de passer par la voie parlementaire habituelle, facile et quasiment gagnee d’avance a sa cause, il a voulu miser comme au poker son poste presidentiel en s’adressant directement au peuple avec son referendum sur la transformation du Senat, decentralisation et la revision de la carte des departements. Il a perdu le referendum et sa place au palais de l’elysee.

Dans la situation de la cohabitation ou d’une majorite trop courte au parlement, le jeu politique devient un jeu strategique et tactique. Comme les cartes ou les echecs. Si le President de la Republique ne disposant pas de majorite absolue veut obtenir le resultat escompte, vaincre ses adversaires, realiser une grande reforme societale, pour le bien de la nation et pour sa gloire personnelle,  il est oblige de chercher les compromis avec ses adversaires politiques. Il lui faut savoir calculer, anticiper, prevoir, bluffer, manipuler, ruser, louvoyer.


Retour en France de 2012.


Lorsque Francois Hollande est devenu chef d'etat en Mai 2012, il a obtenu, suite aux elections legislatives du mois de Juin, une majorite confortable, mais pas absolue a l’Assemblee nationale et a herite d’une courte majorite au Senat, resultant des elections de 2011.

Comme candidat a l’election presidentielle, il a introduit dans son programme plusieurs propositions qui necessitaient le vote des lois constitutionnelles (par majorite qualifiee en congres parlementaire) et d’autres pour lesquels une simple majorite parlementaire suffisait. La situation d'une majorite ordinaire n’etait pas tres confortable pour ce president "ordinaire" car elle l’obligeait de negocier et passer les compromis avec les differentes composantes politiques en dehors de son propre camp. Surtout pour les grandes et profondes reformes societales necessitant un plus large consensus.

Dans la negociation difficile avec les gens reticents rien ne peut remplacer une motivation positive. Donc Francois Hollande, comme ses predecesseurs, disposait des "carottes" habituelles: le president, sans consulter personne, peut distribuer des decorations prestigieuses, faire les nominations a un certain nombre de postes a la tetes des institutions publiques et etablissements importants ou faire entrer les personnalites politiques, y compris des sensibilites differentes que la sienne, dans ses gouvernements dits "d’ouverture" ou "de consensus national". Le president peut faire initier et voter un certain nombre de lois et adopter un certain nombre de mesures qui pourraient representer des compromis politiques, en faisant des concessions et allant davantage dans le sens de l’opposition.

En utilisant ces "carottes", le president, en quelque sorte, pourrait "s’acheter" la bienveillance active des centristes, des hommes et femmes politiques de la droite humaniste, liberale ou pragmatique avec leurs votes positifs des projets presidentiels.

Mais il faut au president avoir des "batons" en s’appuyant sur lesquels il pourrait neutraliser ses adversaires les plus virulents en obtenant lors des suffrages les plus importants au moins une certaine neutralite passive, une abstention de la droite conservatrice. Qu’elle ne vote ni pour, ni contre, ou parfois meme ne se rende pas aux isoloirs du congres parlementaire au grand complet. Ce qui, par le jeu arithmetique subtil, serait suffisant pour faire passer un certain nombre de lois constitutionnelles.

Politiquement, ce qui aurait ete le plus utile au parti socialiste francais (ainsi qu’a tous les progressistes et a la republique entiere) entre 2012-2014, face a la montee des extremismes, principalement du Front national et des fractions apparentees de la droite "decomplexee" jouant sur les memes fantasmes xenophobes et racistes, c’etait une loi sur le vote des etrangers non communautaires (proposition n°50). Tres utile mais difficile a faire voter par le Congres parlementaire.

Absolument necessaire pour en finir (depuis les promesses de 1981 non tenues par Mitterrand). Pour retablir une sorte d’equilibre, pour faire sortir les couches maltraitees et discriminees des impasses et exclusions de communautarismes, pour les associer pleinement  a la vie de la nation, aux actions publiques et politiques locales, concretes et pratiques, d’organisation du mieux etre au premier echelon democratique et republicain, au plus pres des gens d’en bas.

etant souvent victimes des stigmatisations de la droite conservatrice et de l’extreme droite, les communautes etrangeres sont acquises d’avance a la cause des partis de gauche. Et cela pourrait representer la seule nouvelle variable qui pourrait justement faire basculer la balance fragile a gauche en 2014 pour les elections municipales et europeennes, autrement perdues d’avance par le parti socialiste qui subit le desamour total des electeurs resultant de la perte de la credibilite et de la popularite de Francois Hollande avec sa majorite depuis son arrivee au pouvoir. Au benefice des extremismes.

Pour reussir dans cet exercice difficile d’equilibrisme politique Francois Hollande, outre les "carottes", possedait un "baton", un atout fort et redoutable : sa promesse electorale de la reforme du mariage avec son ouverture aux personnes du meme sexe (proposition n°31). Un atout, parce que facilement applicable – par la majorite simple au parlement dont il disposait a tout moment. Un atout fort et redoutable, parce que politiquement clivant a l’extreme et ideologiquement insupportable pour une grande partie de la droite "republicaine" traditionaliste, catholique et conservatrice.

C’etait le "baton" supreme dont disposait le president pour faire pression politique et ideologique sur la droite dure. La possession de cet atout supreme equivalait a une arme nucleaire dans la dissuasion militaire du pays. Avec presque le meme principe: cet arme fatale etait destinee a menacer et non pas pour etre utilisee.


L’acte fatal.


N’importe quel stratege et tacticien vous dirait qu’il est preferable de commencer le quinquennat par essayer d’obtenir les choses les plus difficiles (par exemple, le droit de vote des etrangers non europeens), tant que vous avez la reserve du temps et d’energie. Puisque les choses faciles (mariage pour tous, entre autres) seront acquises de toutes facon a la fin du mandat, meme si vous etes epuises par la lutte.

Cela vous permettrait pouvoir garder du positif  facile et des resultats concrets juste avant la prochaine grande echeance – afin d'augmenter vos chances de se faire reelire sur cette derniere impression de quelques victoires faciles, pour remobiliser votre electorat au cas oщ il commencait a douter de vos capacites de reussir.

Mais comme dans l’exemple de jeu de cartes donne en avant-propos, Francois Hollande a fait l’impensable. Il a commis une faute irreparable et inexplicable. Au lieu de garder son grand et redoutable atout (le mariage pour tous) pour la fin de son quinquennat ou pour un moment particulierement difficile et decisif, il a decide de le jouer des son entree en jeu, des la premiere annee de son mandat.

Resultat de course: il a betement braque a l’extreme toutes les droites, meme moderee et pragmatique, il a pourri au maximum le climat politique dans le pays provocant la fermeture, tres probablement pour le restant de son mandat, de la possibilite de futurs compromis.

S’il avait voulu enterrer volontairement toutes les autres grandes reformes (surtout le droit de vote des etrangers non communautaires), difficiles a faire adopter dans la configuration actuelle du parlement, il ne se serait pas pris differemment ! A croire qu’il l’a fait expres.


Une nouvelle politique de Hollande… sans enjeux politiques


La premiere a compatir du choix tactique et strategique presidentiel bizarre etait la loi sur le vote des etrangers non communautaires. Lors de la conference de presse du 16 Mai 2013 Francois Hollande a fait l’annonce officielle d’abandon de ce grand projet. Pour le moins, avant les municipales de 2014.

Par la meme occasion il a avance une idee completement farfelue qu’il proposerait cette loi une fois l'echeance electorale de 2014 passee. Parce que, selon Francois Hollande, il valait mieux s’occuper de cette grande reforme politique quand il n’y aurait pas d’enjeux politiques immediats. Soit disant, pour ne pas etre accuse d’en tirer les avantages.

A en croire que les partis politiques dans le monde mercantile sont faits pour l’amour platonique et qu’il serait honteux d’en tirer les avantages des reformes. Une absurdite politique que personne n’a compris, a part les philosophes abstraits et coupes des realites qui conseillent le president. Il est evident qu’apres avoir braque la droite avec sa loi sur le mariage pour les homosexuels, il n’y avait plus aucune chance d’obtenir sa cooperation sur le projet du vote des etrangers non europeens.

Meme si Francois Hollande faisait cette proposition apres les municipales et europeennes 2014, il n’y aurait plus aucune chance qu’elle soit votee. Ni pendant le mandat de ce president, et encore moins si la droite repasse au pouvoir en 2017. C'est-a-dire avec l’annulation plus que probable de cette reforme pour les elections municipales en 2020 egalement.

Tres concretement cela veut dire qu’en provocant la droite avec le vote inopportun et premature du mariage pour tous qui aurait pu etre vote en dernier ressort, en fin de quinquennat, et au vu des echeances municipales (tous les 6 ans), cette grande reforme a ete enterree par Francois Hollande au minimum pour 13 ans a venir – jusqu’en 2026!

L’enjeu des hommes et des femmes issus des communautes etrangeres non europeennes a qui les portes de la politique participative resteront fermees encore 13 ans pour le moins n’est pas celui du president actuel !

La France va rester un mauvais eleve europeen qui continue de discriminer au 21-ieme siecle quelque chose comme 5 millions de personnes qui resident sur son sol, participent activement a son developpement economique, culturel et humain. Bravo M. le president de la terre des droits de l’homme et pretendu homme de gauche!

En faisant cet extraordinaire cadeau a la droite conservatrice et traditionaliste, Francois Hollande le "socialiste qui veut tout faire pour la France", en "grand stratege", qui personnellement n’a aucun enjeu politique avant 2017, a aussi mine les chances de son propre parti – du parti socialiste francais – de gagner les elections de 2014. Comme s'il y avait quelque chose de honteux.

Les elus locaux socialistes et apparentes apprecieront cette attitude chevaleresque de Francois Hollande envers le Front national et la droite dure qui pour ainsi dire desormais n’ont plus d’adversaires qu’eux-memes ou le Front de gauche ! Le pire c’est que le president de la republique croit, dur comme fer, qu’il a raison et qu’il a fait une bonne action republicaine. C’est comme ca qu’on enterre les grandes reformes.


Crуnica de une muerte anunciada.


Maintenant que je vous ai demontre comment Francois Hollande, comme tous les socialistes avant lui depuis Francois Mitterrand, s'est employe pour enterrer la reforme du droit de vote generalise des etrangers en France, je ne peux pas me retenir d'avoir le plaisir de vous prouver que moi, expert et politologue, je le savais par avance. Il ne s'agоt pas de voir dans une boule de cristal ou lire dans les astres.

Je suis enarque comme Hollande, Chirac, Giscard, Gueant, Cope, Rocard, Fabius, Aubry, Jospin, Royal, de Villepin et tant d'autres qui ont marque l'histoire de la France apres 1945. J'ai donc de la clairvoyance qui resulte de la connaissance profonde et interne du fonctionnement de la machine politique et administrative francaise. Je possede les cles de dechiffrage pour leurs codes du langage et de la conduite ce qui me permet de voir plus clair dans les discours et pirouettes des dirigeants francais destines a embrouiller le grand public.

Et j'avoue avoir discerne une telle pirouette dans le discours electoral de Francois Hollande bien avant son election et son entree en fonction. Je vous ai laisse le temps et l'occasion, mes chers lecteurs, de le faire de la meme maniere plus haut dans cet article. Maintenant on va verifier si vous avez reussi l'examen a votre tour.

Qu'est-ce qui cloche dans l'ecriture de sa proposition n°50 du candidat Hollande? "J'accorderai le droit de vote aux elections locales aux etrangers residant legalement en France depuis cinq ans."  Deux choses.

La premiere: il est affirmatif. Trop affirmatif: j'accorderai! Un point, c'est tout! Pas de conditionnel, pas de doute, pas d'hesitation. Pourtant il sait parfaitement qu'un changement constitutionnel releve de l'impossible ou presque. Dans un pays divise en deux par le clivage traditionnel gauche-droite. Dans un systeme politique oщ le changement de la  Constitution s'obtient avec la majorite qualifiee des trois cinquiemes des suffrages des deux chambres parlementaires reunies en Congres.

Il est si affirmatif, c'est parce qu'il parle de lui-meme et qu'il n'a aucune intention d'atteindre l'objectif annonce pour le pays, pour ces millions d'etrangers qui l'attendent. Lui, Francois Hollande, president de la republique, accorde le droit de vote aux etrangers. C'est tout. Point a la ligne. Son engagement personnel est tenu. Le reste ne le concerne plus.

Mais c'est justement le reste qui est determinant. Car la proposition de loi constitutionnelle doit etre adressee au Congres. Et si celui-la ne la vote pas, ce n'est plus le probleme de Francois Hollande. Car il ne s'est pas engage d'OBTENIR le droit de vote. Il ne s'est pas engage sur le resultat mais uniquement sur sa bonne volonte de proclamer son profond attachement personnel a cette grande reforme societale et, au mieux, sur le processus de sa recherche sans aucune garantie, sans aucun resultat promis.

Tres subtil! Brillante technique enarchique et jesuite. Mitterrand aurait ete content de son admirateur et heritier. J'appelle ceci "esprit pфle emploi". Dans la Bible on dit: "qui cherche trouve". Ce n'est pas vrai. Qui cherche cherche. Et peut trouver par chance ou hasard. Mais pour trouver a coup sыr il ne suffit pas de chercher. Trouve uniquement celui qui veut trouver, qui est anime par la volonte de trouver.

Et je n'ai pas vu justement cette volonte dans la 50-ieme proposition du candidat Hollande. Je n'ai pas discerne son engagement non pas "d'accorder le droit de vote", mais de le faire adopter par le Congres parlementaire en session de revision de la Constitution et faire adopter une loi organique permettant son application, c'est a dire de l'obtenir.

Deuxieme chose: il y parlait  "des etrangers residant en France depuis cinq ans". Donc des etrangers en general. Et du droit de vote en general. Pourtant lui, enarque, elu de la republique et politicien experimente ne pouvait pas ignorer que le droit de vote des etrangers aux elections municipales et europeennes est deja acquis en France depuis 1994, qu'il a ete vote et transpose dans le droit francais, qu'il s'est pratique en 2001 et 2008. Et le sera de nouveau en 2014. Qu'il est devenu une routine republicaine sans aucun enjeu ideologique ou societal.

Le candidat Hollande savait pertinemment que l'enjeu depuis 1994 consiste non pas en obtention du droit de vote des etrangers aux elections locales et europeennes mais tout simplement en sa generalisation, son elargissement aux etrangers non ressortissants de l'Union europeenne residant legalement et integres en France. Ce qui est une chose completement differente. Car dans cette question beaucoup depend de la maniere de presenter les choses, de la pedagogie tant cherie par M. Hollande.

Lorsque vous dites clairement aux electeurs francais que depuis presque 20 ans le droit de vote des etrangers fait deja partie integrante de la legislation et la realite politique en France et qu'aucune catastrophe annoncee ne s'est pas produite, que la terre n'a pas cesse de tourner, que les 36 mille communes francaises n'ont pas ete prises d'assaut par les occupants europeens envoyes de Bruxelles, que la France n'a pas ete victime des hordes de barbares allemands, espagnols ou italiens qui voulaient la disloquer, l'elargissement de ce droit a tous les etrangers reguliers installes depuis plus de cinq ans sur le sol francais n'est plus percue comme une menace par l'electorat rassure. C'est une approche pedagogique et dedramatisante des peurs irreelles et irrationnelles qui permet d'avancer et obtenir les resultats reels positifs.

En revanche, lorsque le candidat laisse sous-entendre qu'il est question d'un droit nouveau, imprevisible et incertain, la reaction de rejet par peur est quasiment acquise. Et s'il le fait, soit c'est un imbecile et un incapable (ce qui n'est pas le cas de Francois Hollande), soit c'est un politicien intelligent et cynique qui en realite veut l'inverse de ce qu'il annonce et par provocation calculee et intentionnelle fait recours aux techniques subtiles attisant savamment les peurs et les apprehensions. J'opte volontiers pour le deuxieme cas. Voila comment je savais d'avance qu'il ferait tout pour faire capoter cette loi. Je me trompe rarement. Et l'histoire m'a deja donne raison la-dessus. Malheureusement pour la France.


epilogue.


La constitution du 24 juin 1793, qui n'a jamais ete appliquee, declarait :

"... tout etranger de vingt et un ans, qui, domicilie en France depuis une annee, y vit de son travail, ou acquiert une propriete, ou epouse une Francaise, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout etranger enfin qui sera juge par le Corps legislatif avoir bien merite de l'Humanite est admis a l'exercice des Droits de citoyen francais."

Il est evident que pour certaines choses la France du troisieme millenaire est un pays beaucoup moins progressiste qu'elle ne l'etait au XVIII-ieme siecle, a l'epoque lointaine de la revolution francaise.

La promesse solennelle mitterrandiste reste toujours lettre morte en ce qui concerne les ressortissants etrangers non communautaires 32 ans plus tard. Et dans sa volonte de copier tout sur Mitterrand, Francois Hollande, a son tour, a tout fait pour enterrer cette reforme symbolique. Aussi cyniquement et subtilement que son idole.


France, 2013


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