A bientot...

         Grand, elance. Toujours avec cet air concentre-important  et l'expression pensive de ses beaux yeux presque noirs elle le voyait en orme costaud, etendu, bien enracine.
Mais... il etait un homme.
         Ce tout premiere matin qu'elle l'apercut en plein milieu du petit chemin forestier elle se sentit comme reveillee, envahie subitement de lumiere de soleil, chauffee du sommet aux pieds. La foret hivernale toute endormie quelque secondes avant se mit a danser autour d'elle en tourbillon multicolore. "Qu'est-ce qui me prend?" - s'etonna la sorbe. "On n'est qu'au mois de fevrier".
Cet homme lui apporta le printemps.
         Des jours et des jours entiers s'ecoulaient maintenant en attente languissante de son retour. L'attente penible qui guettait chaque bruit ressemblant a ses pas. Il passait de plus en plus souvent et parfois s'arretait meme tout pres d'elle declenchant dans son trone cette vibration agreable qu'elle commenca a adorer. Oui, elle ne vivait qu'a l'attendre bouleversee de l'energie explosive de la seve bouillonnant a l'interieur. Elle gonflait son ecorce reclamant a hurler de cet homme et chanter. "C'est le printemps, juste le printemps," - se repetait-elle essayant de chasser sans succes l'image de la tete cendree legerement ebouriffee. Le jour ou il s'assit collant son epaule qui la brulait et leva sa tete fut le plus heureux de sa vie. Elle voulut lui dire a quel point elle etait ravie de le voir si pres. Lui avouer son reve de se transformer un jour en une femme qui pourrait le regarder dans le plus profond de ses yeux et lui parler. Mais ses petites feuilles vertes et fraiches n'arrivaient qu'a se balancer au vent refletant le soleil. "Jolie. Je veux etre tres jolie pour lui", - se disait-elle le voyant revenir encore et encore. Des fois meme un beau sourire illuminait son visage serieux quand il levait sa tete vers elle et restant longtemps comme cela suivait le mouvement gracieux de ses branches. "Il veut m'entendre", - chuchotait la sorbe amoureuse. "Il me comprendra".
          L'ete touchait a sa fin mais elle s'en apercevait a peine. L'erable a cote si devoue, si calme grincait parfois de deception mais continuait d'etaler sa cime genereuse au-dessus d'elle pendant les bourrasques orageuses. Et l'homme... Viendrait-il pendant l'orage? La sorbe ne le savait pas. Cela faisait longtemps deja qu'il ne passait plus meme les beaux jours.
          Cet automne-ci ses baies d'habitude oranges debordaient de vie. Elles brillaient fierement presque rouges ecarlates. "Qu'est-ce que t'es belle!" - repetait l'erable regardant emerveille sa voisine parsemee de petits soleils couchants. "Je ne veux etre belle que pour lui", - s'obstinait la tetue naive se detournant de l'erable penche en protecteur patient. La pauvre reveuse refusait de voir le monde autour s'effondrant en larmes desesperees et perdait ses baies magnifiques. Se refermant, repoussant tout elle se persuadait sans cesse que l'homme inconnu pouvait la transformer en femme qu'il aimerait. "Il a besoin de moi. Il m'aime aussi. Il reviendra", - se consolait-t-elle dans son attente douloureuse. "Cela ne sert a rien de t'empoisonner comme cela! La vie ne s'arrete pas. Et s'il aime deja une autre? Reflechis un peu enfin!" - lui souffla un jour le vent. D'habitude joueur et insouciant il passa cette fois en plusieurs rafales irritees la secouant toute entiere. Mais elle choisit d'etre sourde a la raison.
         L'homme revint quand il ne resta presque plus de ses merveilleuse baies rouges. Ravagee par des troupeaux de petites fusees criardes foncant du ciel elle se tenait maintenant droite et nue devant lui. Remplie de l'espoir, un peu embarrassee d'avoir juste quelques feuilles fanees et dessechees parvenant encore a s'accrocher la sorbe lui sourit. Son trone trembla quand l'homme s'installa son dos et sa tete noire grisee contre elle. Deshabillee fut son ame aussi quand la sorbe lui jeta sur les genoux la derniere belle grappe avouant son amour. "J'en etais sure. Epais et durs au toucher", - soupira-t-elle regardant ses branches se transformer en fins doigts de femme caressant les cheveux en bataille qui la poursuivaient si souvent dans les nuits sans sommeil. Il leva les yeux et cria presque secouant sa tete: "Je ne peux pas! Je ne peux pas! Je ne peux pas!"
"A bientot", - lui sourirent les yeux bleus entre les nuages.


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