Carnet

Les souvenirs, comme des perles multicolores dans l’herbe : en se penchant sur l’une, on remarque tout de suite une autre.
L'air a une couleur de chocolat, a cause de libellules. Leurs ailes, parsemees de taches aux bouts, bougent de maniere synchrone telles que centaines de reflexions egales. Mon emoi est constant, meme dans le reve, dans le son d’une musique scintillante, dans le vetement froisse pendu negligemment sur le dossier d’une chaise. Je ne veux pas etre un miroir sans reflet. Si tu ne te refletes pas en moi, je…
Je regarde le soleil, ce petit tresor hivernal. Un bonbon orange, tres doux. Je n’arrive pas a tomber amoureuse. Des arbres et des cris d’oiseaux plongent dans le ciel. Il y a des miroirs sur la scene. La flamme d’une robe ecarlate illuminee par la lumiere d’un projecteur, les visages blancs des acteurs. Des mouvements ralentis, une odeur de poudre fine et de la musique. Je suis a la septieme rangee. La salle est inondee de bonheur. Les levres sont entrouvertes, le contour petille d’or, les yeux sont fermes. La realite blesse le c;ur comme un coup de feu. Il faut rentrer. Derriere une vitre d’autobus…
Il fait nuit, le ciel est dechire. Je mourrai, mais d’autres resteront pour faire la queue, suer et reflechir. En quoi consiste le sens de notre vie ? Il y a un jardin suspendu sur le balcon. Je cueille un concombre nomme fierement Antonio. Maximiliano n’est pas encore mur. Cette nuit j’eus peur. Le c;ur se serra de douleur au moment ou la radio emettait un vieil air de mon bonheur de trente ans. C’etait une chanson jadis adoree. Ma gorge fut serree par les larmes de la nostalgie de ce monde ensoleille et si lointain. Il m’appelait, mais je n’avais rien a repondre. Mon enfance fut revenue, mais je n’y retournai pas et je ne l’avais plus. Ca fait tellement de la peine de replonger ses yeux dans ce monde de reves pour revenir, ensuite, dans la realite par une nuit sombre et pluvieuse. Par une nuit ou…
La solitudes des gens qui se heurtent aveuglement est infinie. C’est le manque des vivants. Je me souviens d’une journee brulee pres de l’entree d’un immeuble. Je sors. Une vieille dame, a moitie cachee par des paquerettes, est assise a meme le sol. Elle chanta une triste chanson russe d’une voix etonnamment riche. Sa physique etait a tel point en contradiction avec la cour bitumee, encombree de voitures de marques etrangeres, qu’elle ressemblait a un fantome. Encore une perle…
C’est le mois de novembre qui fait penser aux anciennes gravures chinoises. Les reverberes ambres ont des pieds minces, les premiers flocons tombent sur la terre. J’evoque mon enfance, quelque chose de doux, d’intime : les contes de fee, l’arbre de Noel, l’odeur d’aiguilles et de chocolat. La route brille a travers les arbres. Les feux de croisement sont comme des bougies de Noel, pendues aux branches minces. J’ai de nouveau sept ans… Quelle sensation etrange ! J’ai l’impression d’etre au fond, on dirait que ces immenses immeubles gris sont des navires coules. Il fait silence, comme au fond de la mer. Nous venons dans ce monde pour vieillir. Ou…
La musique s’interrompt sur une note beate qui casse quelque chose en moi. Je m’envole. Ce moment brulant, languissant est de l’amour. C’est un conte que je connais par c;ur. Je n’ai pas envie de me reveiller. Des fleurs jaunes se deplient lentement dans une tasse de the. Elles ont un gout legerement amer. Je sens une odeur faible de printemps. Mes reves sont desequilibrants. Ils sont si vifs, si reels que j’attrape, en me reveillant, des mots qui s’echappe des levres de quelqu’un mais qui n’atteignent pas le matin. Chaque personne est un foyer dont le feu doit etre alimente par les autres. Sinon…
J’ai l’impression que, si tu ne dis rien maintenant, les mots seront inutiles pour toujours. Un gout legerement amer du cafe et de l’herbe brulee. Mon ame est malade pendant toute la journee. Mon ame a le mal des adieux. Le ciel est jaune et la voix au telephone est grise. La vie humaine est insupportable sans la foi dans le miracle. Ce n’est pas grave, je connais beaucoup de contes de fee. Le papillon bleu des adieux battait contre la fenetre. C’est du vent d’hier…
Tu ne peux pas voler tout simplement parce que cette idee ne te vint jamais a l’esprit. Et moi, j’ai peur du ciel. Il est si enorme que je m’y sens comme un grain de sable. Les nuages sont fantastiques, ils me font disparaitre tout entiere et je ne sais plus ou je suis. La boule de cristal du mois de juillet fut brisee en morceau. Des errances dans la ville, un frisson a cause du grincement de la porte qui s’ouvre, des flux de poussieres solaires et un grillon triste dans la cave. De l’ennui et de la fatigue. Tu es partout : dans une pile de livres jetes par terre, dans un pantalon qui seche derriere la fenetre, dans du linge eparpille sur le lit, dans un flacon d’eau de Cologne a l’odeur acre, et moi, je ne suis que dans un rayon de soleil sur le mur. Des chars s’approchent de Moscou. Je porte a mes levres du the refroidi. Il y a…
De l’angoisse… Il est temps de rentrer a travers la nuit. Par le ventre avide du metro moscovite. Dans les cris des gens effrayes, dans la fumee d’explosions. Dans l’agitation de l’inconnu. J’ai une gorge serree. Tu me laisses partir, en fermant les yeux, tel un monarque fatigue. Tu ne sais pas ou se trouve ton c;ur, puisqu’il n’est pas brise. L’ascenseur est le point culminant. Tu es chausse de pantoufles, c’est-a-dire qu’il n’y a que du vide et de la solitude derriere la porte d’ascenseur. Je me tourne vers la porte, les yeux brulants. Tout a coup tu me prends par les epaules et m’embrasse. Je m’envole. Je reste…
Le charme poussiereux de la vie. Le monde sombre d’angoisse et d’angles aigus. Une pluie triste soupire en gemissant derriere la fenetre. Tous les matins, le millefeuille est fleuri de cristaux de glace, ses bosquets blancs brillent au soleil comme des pissenlits argentes. Quelque chose va se passer. Je pardonne et pars sans attendre la monnaie. Il y a des larmes derriere les fenetres. Ca fait peur d’etre humain. Ca fait peur de tirer a bout portant, de frapper au visage et de detester… de detester tout autour de soi. Et de le regarder en sucant lentement un morceau de chocolat. Nous sommes malades. Nous avons mal de pluies d’automne, de neige fondue, de feuilles mortes et de vents froids, mordants. C’est une maladie d’adieux, de deception et de vide. Monsieur le Docteur Le Temps va delivrer une ordonnance…
La neige est profonde et fragile. La rue ressemble a une carte postale. On dirait que le pere Noel viendra et offrira du bonheur, comme des bonbons multicolores, a tout le monde. Le rire s’envolera comme des confettis colores. C’est le printemps de nouveau, mon petit bateau court sur un ruisseau sombre. Cent ans s’ecoulerent, la mort n’a pas de passe. La rue de l’Arbat, mouillee et grise, fleurit de guirlandes de ballons voyants. C’est le premier avril. Les gens font des ronds et dansent en riant. Des visages inconnus sont joyeux. On vend des boubliki chauds, biens cuits. Tout le monde est ravi. Une fois de plus, le passe monte comme du brouillard, en cachant le present. He, cocher ! Et de nouveau c’est le retour a la maison…
Au present. Tu sais qui est un cocher ? La fille hesite. Mais oui, je le sais, c’est une personne qui fait des coches. C’est le vingt-et-unieme siecle. La meme chaleur des ailes blanches nous monte vers les etoiles. Qu’avons-nous appris ? Les anciens le savaient deja. L’espoir d’immortalite.  Chaque annee, une heure emporte un jour. Un ete desastreux chasse le printemps. Celui-la va perir a son tour ainsi que l’automne apportant ses fruits. Le froid hivernal reviendra…
L'air a de nouveau une couleur de chocolat a cause de libellules, puis se suivent : la nuit, un ciel dechire, un bonbon de soleil et une joie du printemps sur les visages. J’aime ce temps, je l’aime a l’infini. Je jure que je vais l’aimer pour le meilleur et pour le pire, riche ou pauvre, dans la sante et la maladie, jusqu'a ce que la mort nous separe.



Traduit par Natalia Saponova


Рецензии